Anger is the key // THOMAS BROWN

« Il est instable. »
« Et s’il s’attaquait aux lions ? C’est courant, dans la nature. »
« On ne peut pas lui faire confiance. »
Encore, toujours. Toujours les mêmes mots. Toujours les mêmes craintes. Le blaireau est agressif. Il ne peut pas être raisonné. Il a une rage incontrôlable en lui. Et s’il la dirigeait contre l’Alliance ? Et s’il était dangereux pour la communauté ? Et s’il tuait quelqu’un ?

Encore, toujours. Depuis qu’il a été élu, c’est la même rengaine. A ses 5 ans, lorsqu'il fut choisi après une ultime crise de colère où il a mordu un enfant qui lui avait pris sa peluche préférée, le blaireau s'est présenté à lui. Thomas l'a pris dans ses bras. Nouvelle peluche, pensait-il.
S'il avait su.
Depuis ce jour là, on l'évite. On prend peur de lui. On craint sortir de ses gongs, ne plus se contrôler, exploser, faire ressortir ce qui est enfoui au fond de soi. On le croit maudit, d’une mauvaise influence.
Pourtant cette aura, il ne la contrôle pas. Elle est là, elle vit avec sa colère omniprésente. Cette colère qui l’embrase, celle qui lui a valu tant de problèmes. Celle qui a fait craquer ses parents de nombreuses fois. Celle qui les a fait douter de leur amour pour lui. Celle qui a blessé sa petite sœur. Celle qui lui a valu cette cicatrice à l’arrière du crâne.  
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Celle qui a tué celle qu’il aimait.
Pas lui, pas l'Alliance. Mais sa colère. Son aura. Cette aura qui l’a poussée à dire les mauvaises choses aux mauvaises personnes. Cette colère contagieuse qui a déclenché cette bagarre. Cette rage qui a fait que son tueur ne s’est pas arrêté, même lorsqu’elle le suppliait. Même lorsque le sang maculait son visage jusqu’à ce qu’on ne la reconnaissance plus. Même lorsqu’elle a cessé de bouger.
Il s’en rappelle toujours. Ce cercle vicieux qui les emportait. Sa colère qui grondait, de plus en plus fort, empêchant quiconque de se calmer. Les mains qui le retenaient, celles qui le frappaient. Il n’avait pas pu se calmer.
Il n’a jamais réussi.

Considéré comme maudit par sa famille superstitieuse, sa vie s’est résumée à la solitude. Qu’avait-il encore à perdre ? A 25 ans, il n’avait plus de famille, ni d’amis et encore moins de compagne. Il s’en voulait. Il en voulait à son anima. Il s'est mis à le détester. Ce blaireau l’a maudis, ce blaireau a tué la personne qu’il aimait.

Mais il ne pouvait pas s’en débarrasser. Ce putain d'animal était toujours dans les parages, il l’attendait, dehors, pour le suivre. Il lui parlait, envahissait sa tête de philosophie. L’agressivité peut être positive. Elle peut permettre de nous donner l’énergie pour avancer.

Il hésita à se présenter à l’Alliance pour faire supprimer ses pouvoirs. Tout oublier. Tout lâcher. Être un humain normal.

Mais il ne pouvait pas.

Il ne pouvait pas se soumettre à un lion. Ni à qui que ce soit. La soumission, c’était lui qui l’exerçait. Jamais il ne se laisserait manipuler. Jamais. Il fuit alors. Loin d’eux, loin des autres. Pour les protéger de sa colère. Les protéger de la destruction. Pourtant la rage ne s’atténuait pas. Pire encore. Isolé, en deuil, triste, elle se décuplait. Que devait-il faire ? Il n’arrivait plus à se calmer. La seule personne qui y arrivait était morte.
Mais les nouvelles vont vite et les rumeurs aussi.
Les années ont passé, mais la mort lui collait à la peau. Les bagarres et les accidents qu’il laissait derrière lui ne pouvaient être ignorés très longtemps.
A l’aube de ses quarante ans, il a senti la fin arriver. Les chuchotements se faisaient plus insistants, les regards plus accusateurs. Bien qu’il évitait tout contact avec le moindre anima, il se sentait surveillé. Quelque chose se préparait. Quelque chose qui ne pouvait pas bien se terminer. Était-il le temps qu’il soit jugé, que ses pouvoirs soient bridés ?
Non.
Il ne pouvait pas abandonner.

Never give up.

Il s'est alors préparé. Lorsque l’Alliance est venue sonner à sa porte, il était là, muni d’une batte. Il a laissé exploser sa colère. Et cela lui a fait un bien fou. Jamais il n’avait aussi heureux qu’en étant lui-même, sans se brider. Peut-être les a-t-il tué, ce jour-là. Il ne s’est jamais retourné. Il a fui, avec un sac à dos. Le sourire aux lèvres et le corps léger. Du sang maculant ses mains et son visage. L’arme du crime laissée auprès des corps inertes.

Il voulait vivre.

Et il n’avait qu’une façon de le faire. Il en avait entendu parler sans jamais savoir s’ils existaient vraiment. Il en aurait le cœur net. Il les a cherché, sans relâche. Il a appris à se débrouiller. A vivre en paria. De son Angleterre natale, il s'est rendu jusqu'en Ecosse.

Puis Thomas les a finalement trouvé. Les autres parias victimes de leur mauvaise image, de leur pouvoir, de vivre une vie qu’ils aimaient. Il s'est senti plus proche d’eux que de n’importe qui.

Désormais, Thomas ne se bride plus. Même si sa relation avec son anima est toujours aussi tendue, il a embrassé ses pouvoirs, embrassé sa colère, embrassé son destin.

Se battre contre l’Alliance lui a donné une vraie raison de vivre. Détruire cette communauté d’Elus parfaits, aux capacités bienfaitrices, aux animas attirants, gentils, mignons. Pensent-ils pouvoir les écraser tous ? Pensent-ils que leur spécificité les rend meilleur ?

Lui aussi, peut faire le bien. N’est-ce pas ce que le blaireau lui a toujours répété ? La colère peut être une bonne chose. Elle peut faire s’élever les foules contre l’injustice, permettre de se dépasser. Cette agressivité peut avoir du bon.

Thomas, lui, a décidé qu’il garderait le mauvais, cette fois-ci de plein gré.
Si l’Alliance le considère instable, mauvais, dangereux ; ainsi soit-il. Il serait l’Elu le plus instable, mauvais et dangereux.