Jonathan Tesla || Élu du Lémurien || Confrérie

Il est deux heures du matin et c'est un petit froissement qui m'a éveillé de ce sommeil déjà léger, comme toujours bercé de ce rêve étrange où la créature semble vouloir me parler. Elle me fixe de ce regard sombre, vitreux, globuleux, dans lequel il semble si aisé de se perdre. Comme un abysse dont on ne voit pas le fond et qui engendre à la fois la crainte de ce qui peut s'y trouver tout autant que cette toujours si maladive obsession de curiosité à devoir combler. Puisque curieux je le suis et je l'ai malheureusement toujours été, creusant le détail de la moindre chose que je n'arrivais pas à comprendre en me disant qu'il devait bien y avoir une explication rationnelle à tout. J'aurais pu faire scientifique, chercheur, archéologue, n'importe quoi d'autre du même genre qui m'aurait permis de faire un métier de cette obsession ridicule, et pourtant ce n'est pas ce qui a finalement guidé mon existence. Les voyages étaient à la base même de ma vie d'enfant, père dans l'armée oblige. Nous étions constamment en mouvement et, malgré ma naissance à Londres, je peux compter sur les doigts d'une main le nombre d'années que j'y ai passé au cours de ma vie. Je n'ai jamais réellement compris le rôle de mon père dans l'armée d'ailleurs, parce que s'il y a bien une chose que je n'ai pas cherché à creuser plus amplement c'est ça. La régime militaire de la maison me suffisait tout comme ma morphologie d'un naturel plus chétif qui me comblait plus qu'amplement. Qui dit voyage sur de longues distances pour un enfant dit cependant nécessité d'un passe-temps et là où mon cadet et mon aînée se complaisaient à jouer à des jeux ridicules, je trouvais mon bonheur dans la lecture. Et comme j'en ai dévoré des livres. Les uns après les autres lors des transports, puis sur une base plus régulière voire même constante dans ma vie de tous les jours. Je ne sortais sans un livre et usait même de mon absence de super pouvoirs pour faire bien trop souvent des face à face avec les murs à trop me perdre dans le fictifs de ces univers que j'absorbais comme une éponge. Ceci explique donc cela lorsqu'on sait ce que j'ai finalement décidé de faire de mon existence après une hésitation que je n'ai jamais réellement senti comme bien des jeunes de mon âge face à ce défi de taille qu'est trouver la raison de se lever tous les matin. Mon problème restait donc les voyages encore et toujours si constants avec ma famille et la nécessité de rester plus stable pour me permettre de réellement prendre le temps de faire mes études de la bonne façon.

L'Écosse s'est présentée d'elle-même pour la simple raison que c'est l'endroit où nous nous trouvions lorsque le moment vint de me poser pour apprendre comment faire apprécier aux jeunes qu'il y a bien plus que quelques lignes sur un écran en un bon livre. Oh comme il y a plus. J'ai donc laissé mon aînée, ma mère et mon père continuer leur petite tournée du monde, non sans un soulagement profond d'enfin échapper à tant de rigidité m'ayant déjà malheureusement bien trop modelée. Mon cadet quant à lui a décidé de profiter de cette porte ouverte pour rester avec moi et lui aussi échapper au régime militaire qui n'a jamais été pour lui. Bien trop volatile et rebelle dans l'âme. Cohabiter ensemble nous l'avons fait quelques temps, profitant de ce support que nous savions tous les deux temporaires pour nous permettre d'avoir le nécessaire à notre survie dans ce vaste monde chacun de notre côté. Cohabité nous l'avons surtout fait jusqu'à il y a six ans de ça, à l'époque où j'ai rencontré Clara et où mon frère a commencé à agir de façon... étrange. Il a préféré se trouver un logement de son côté et j'ai, à force de longs mois d'acharnement, rendez-vous, soirées et cadeaux sans doute un peu trop imaginatif, convaincu Clara que j'étais un copain potable avec qui elle avait envie d'emménager. Il y a six ans...

C'est également il y a six ans que ça a commencé, les apparitions, les rêves, cette nouvelle obsession maladive et cette peur de devenir fou. C'est il y a six ans que cette créature a commencé à me hanter, sous toutes ses formes. Elle polluait mes nuits et mon existence, déroutant mon attention dans les cours, me faisant perdre mon focus à tout moment de la journée, jouant de mes nerfs et mon niveau d'éveil à m'en donner envie de hurler. Et cette pauvre Clara qui ne comprenais pas ce changement si soudain dans mon attitude là où mon frère m'observait d'un regard curieux. Ça a durée une année entière, s'amplifiant au fil des jours, semaines et mois à en devenir presque constant sur sa finalité. Jusqu'à ce soir où je l'ai vu si réelle cette bestiole que je me suis pincé pour m'assurer que je n'hallucinais pas, la respiration si paisible près de moi en guise de seul point d'accroche à ma réalité déjà si chancelante. Je n'ai pas même eu besoin de parler, de bouger, la bête minuscule semblant sentir mon hésitation et s'approchant à pas léger sur le draps pour venir se poser dans la main que j'y avais posé à plat. Ce minuscule lémur, ce microcèbe, qui devient Magnus, un animal envoyé par mon père des suites d'une mission de sauvetage où la pauvre petite bête dû être soignée puis gardée en captivité en raison des soins l'ayant changée. Plutôt une histoire en rien crédible que je dû convaincre mon frère de confirmer, chose qui fût d'une facilité déconcertante sur le coup. Pas l'ombre d'une question, mais un regard fixe sur ce nouveau tatouage réalisé sur un coup de tête. Du moins, là encore c'est ce que j'ai dû inventer pour expliquer l'apparition si soudaine de cette marque sur mon avant bras. Pour Clara, pas pour lui.

Mon cadet attendait simplement le bon moment pour me parler, pour m'observer de son regard fatigué et pointer la marque sur le dos de Magnus que Clara n'avait pourtant jamais remarqué. Il profita de cette nouvelle porte que je venais de lui ouvrir pour me parler de ce qui le tiraillait lui aussi depuis la dernière année, simplement pas au même niveau que moi. Ça avait été plus fort, plus intense que tout ce que j'ai pu expérimenter de mon côté. Suffisamment pour qu'il ait ressenti le besoin de parler à un psychologue qui en parla à des collègues et de fil en aiguille et bouche à oreille il se fasse prendre à part par l'un d'eux. Un homme lui expliquant comme il avait été imprudent et avait eu de la chance que l'information se rende jusqu'à lui tout en lui présentant la marque à son bras. Une marque similaire à la mienne et celle que mon cadet avait gagné entre temps au fil du temps passé et des consultations qui n'avaient en rien réglé son problème. L'homme se présenta comme étant membre de ce qu'on appelle la Confrérie, lui en expliquant les grandes lignes, mais lui expliquant surtout ce qu'elle pourrait lui apporter s'il les rejoignait. D'où le niveau de fatigue si apparent sur les traits de son visage. La paranoïa l'avait gagné, la crainte de se faire coincer, la peur de se faire traquer comme un animal alors qu'il n'avait rien fait de mal si ce n'est décider de prendre le parti de ceux qui surent rapidement gagner sa confiance. Il était toujours lui, mais cette connexion à un anima changeait toute la donne et ce qu'il m'expliqua changea toute la donne pour moi. Des pouvoirs, j'avais des pouvoirs.

Ils se présentèrent tous les trois de façon plus ou moins aléatoire, cette pauvre Clara devenant un sujet de test bien malgré elle dès lors que cette odeur répugnante me chatouilla les narines durant des semaines entières, mon petit lémur me fixant avec insistance à chaque fois en frottant ses poignets éclairant finalement mon esprit qui cherchait si loin qu'il n'arrivait pas à le voir. Ce fût le premier. Le second... Disons que c'est le second qui me fit réellement réaliser à quel point ma vie ne serait plus la même si je n'étais pas prudent. Clara était sortie ce soir-là et j'étais plus que concentré dans la préparation d'un gros cours à donner à titre de suppléant, à défaut d'avoir le poste qu'on me promis pour l'année suivante. La musique raisonnait à mes oreilles alors que mes yeux peinaient à suivre le fil des lignes que j'avais pourtant lu des centaines de fois. C'est donc sans surprise que la main de la jeune femme me fit sursauter et lui attraper fortement le bras au passage en braquant mon regard sur elle. Il faut dire que j'étais un peu nerveux, et pas seulement en raison des paroles de mon frère quelques mois plus tôt. Surtout parce que je craignais tout autant que lui de me voir chasser maintenant que j'avais rejoint cette Confrérie à mon tour la veille après avoir pris le temps de leur exprimer mon point de vu à ce sujet en plus de cette nécessité maladive de protéger mon cadet que je savais trop bien ne pas être de ceux à faire le mal. Mais ce n'était pas, ce n'était qu'elle. Elle qui me caressa doucement le dos en s'excusant de m'avoir faire peur alors que je me confondais en excuse de l'avoir si fortement agrippé, sentant qu'il y avait plus. Il y avait quelque chose qui clochait, quelque chose qui me nouait les tripes en un sentiment que les deux billes noires me confirmèrent.

J'ai voulu la rattraper même sans savoir ce que je venais de faire exactement, mais il était trop tard et c'est lorsque je l'ai appelé que j'ai pu comprendre à quel point. Lorsque le son de sa voix me disant que je n'avais pas à m'inquiéter se transforma en un grand fracas métallique et que la ligne se coupa. Accident de voiture, voiture sortant de la route sans raison et emboutissant un arbre, mort sur le coup. C'est ce qu'ils me dirent lorsqu'ils vinrent cogner à ma porte déjà ouverte et me trouvèrent figé sur le pas. Des années ont été nécessaires pour mieux maîtriser ce pouvoir ayant entaillé mon âme quatre ans plus tôt. Un pouvoir que je sais encore hors de contrôle lorsque mes émotions prennent le dessus. Tout comme le tout dernier à avoir pointé le bout de son nez d'ailleurs. Quatre ans à savoir que c'est ma faute, à avoir dû continuer de vivre avec la présence de cette aura qu'elle a laissé derrière elle pour me rappeler sans cesse le poids de mon erreur même si je ne cesse de clamer n'y être pour rien, absence de preuves à l'appui. Quatre années à tisser plus amplement le lien avec ma nouvelle condition, avec Magnus et ce qu'il m'apporte plus amplement que d'un simple regard un poil perturbant. Quatre années à tâcher de protéger mon cadet de l'Alliance et ce sort qui l'attend tout en protégeant mon propre dos devant une classe bondée d'élèves. Et pourtant, je tiens le coup.